Batumi, ville située en Géorgie, dans le Caucase au bord de mer noire, peu connue avant 2008, a été depuis identifiée comme l’un des plus importants sites de migration des oiseaux au monde. La migration d’automne est un phénomène spectaculaire à ne pas manquer. Il était donc pertinent que Paul BROSSAULT, Chargé de mission Cigogne Noire pour l’ONGE Forestiers du Monde®, Animateur – coordinateur du Groupe International des Observateurs et Experts de la Cigogne noire (GIOECN), également Expert UICN France Cigogne Noire, y réalise une mission.
Nous présentons ici le compte rendu sommaire de cette mission internationale Cigogne Noire en Géorgie du 9 au 18 septembre 2025.
En automne, des dizaines de milliers de rapaces survolent chaque jour les hauteurs de la ville de Batumi, sur la côte Est de la Mer Noire en Géorgie. Après avoir redécouvert ce site et démontré son importance internationale pour la migration de certaines espèces d’oiseaux, des ornithologues passionnés y organisent un comptage scientifique depuis 2008. C’est le projet Batumi Raptor Count (BRC). Dès le début, des liens profonds ont été tissés avec les communautés locales, dans le but de réduire certaines menaces pesant sur les rapaces migrateurs dans la région.
Aujourd’hui, le comptage des rapaces migrateurs à Batumi s’effectue depuis deux stations situées sur les hauteurs des villages de Sakhalvasho et Shuamta, et ce sont chaque année environ un million de rapaces qui traversent la sphère d’observation
C e site est situé à l’endroit où le petit Caucase rencontre la côte orientale de la Mer Noire pour former une étroite bande côtière qui agit comme un goulot d’étranglement pour le flux des oiseaux migrateurs venant du nord depuis la Russie. La voie de migration de l’est de la mer noire atteint ici son point le plus étroit. Ces oiseaux traversent ensuite la Turquie, la Syrie, le Liban en direction de la péninsule arabique et de l’Afrique de l’Est.
Voila plus d’un siècle que des ornithologues européens avaient repéré cette importante voie migratoire pour les rapaces. De nouvelles prospections au début des années 2000 ont confirmé ce constat et un projet de suivi scientifique a vu le jour. Il s’est concrétisé, et à présent un suivi annuel de la migration post nuptiale est organisé du 15 août au 15 octobre par l’association Batumi Raptor Count (BRC) avec la collaboration d’une cinquantaine d’observateurs bénévoles novices ou expérimentés sur deux mois.
Deux points hauts sur des collines permettent une vision d’ensemble. Les oiseaux passent haut, à quelques kilomètres ou parfois forts proches. Le flux étant tellement important, il n’est pas possible de tout dénombrer. Ainsi des espèces rapaces cibles ont donc été choisies (Bondrée apivore, Milan noir, Circaète Jean le blanc, Aigle botté, busards…) pour un comptage de qualité nécessitant jumelles et longue vues.
Un protocole strict est appliqué permettant une analyse scientifique fiable année après année. Paul a pu observer de véritables nuages de rapaces se succédant forts des milliers d’individus (Bondrée et Milan noir). Parmi des centaines de milans noirs ou bondrées se dissimulent d’autres espèces, l’œil de l’expert les débusque. Suivant la période, la phénologie du passage des espèces évolue : Bondrée et Busard cendré, fin août, Milan noir et Aigle botté mi-septembre, Circaète, Aigle pomarin, mi-octobre.
Sur le site d’observations, présence de nombreuses nationalités donc langue anglaise pour tous.
Apprenez les noms anglais des rapaces, sinon il sera déjà passé quand vous aurez traduit son nom in french !
La moyenne annuelle de 2016 à 2025 est 1 237 000 oiseaux (800 000 pour un point et 437 000 pour l’autre). Les deux espèces les plus abondantes sont la Bondrée apivore (470 000 individus) au passage 2024 et le Milan noir (247 000 individus).
Le but de la mission de Paul BROSSAULT était de partager l’expérience sur la reconnaissance des classes d’âge de cigognes noires en vol. Majoritairement les oiseaux passent à de grandes distances de quelques kilomètres. A la longue vue et par bonne lumière il est impossible d’identifier la classe d’âge des oiseaux. Seule la silhouette est typique, différente de celle de la Cigogne blanche avec la quelle elle peut être confondue par des non spécialistes. Quelques oiseaux passent tout près et on peut aux jumelles identifier deux classes d’âge : juvéniles et deux ans et plus. La classe d’âge d’immature âgée de deux ans n’est pas identifiable dans ces conditions, contrairement à un individu posé.
Considérée comme une espèce non cible du programme, l’espèce est cependant comptée au passage ainsi que la Cigogne blanche. L’observation ne prête pas à confusion, le nombre est restreint, ces données peuvent aider à apprécier leur état de conservation dans le temps. Paul a pu observer quelques individus chaque jour sachant que leur nombre va progressivement augmenter pour un pic de passage prévu à partir de mi-septembre. Certaines passent très près et on peut identifier la classe d’âge, d’autres passent à plusieurs kilomètres, haut dans le ciel. Elles sont repérées à leur silhouette typique. Elles sont parfois noyées dans un vol de plus d’un millier de rapaces.
La moyenne annuelle du passage post nuptial sur les deux points à Batumi se monte à 2000 cigognes noires, avec un record mensuel de 1 764 pour un passage journalier record de 433 individus.
Ces oiseaux en provenance de Russie et Sibérie occidentale se dirigent vers la zone d’hivernage en Afrique de l’Est après le survol de la Turquie, la Syrie, le Liban, Israël et l’Égypte. Les cigognes noires de Sibérie centrale et orientale se dirigent vers la Chine puis transitent par le Pakistan pour gagner la zone d’hivernage en Inde.
En Géorgie il y a une population Cigogne noire nicheuse au Sud-Est du pays dans des falaises en compagnie des vautours.
Les premiers ornithologues avaient constaté une intense activité de chasse au passage post nuptial. Ici c’est une ancienne tradition, on tire à plomb et on piège au filet les rapaces. On entend encore mi-septembre des coups de feu toute la journée dans les environs. En observant le survol d’un si grand nombre de rapaces (le comptage actuel du 15 août au 15 octobre dépasse le million d’individus en 2025), il est facile d’imaginer que les chasseurs locaux considèrent les oiseaux comme une ressource inépuisable. La Bondrée apivore était et serait encore l’espèce la plus prélevée et mangée. Rappelons qu’il n’y pas si longtemps, les pigeons dans les Pyrénées et les tourterelles des bois en Aquitaine étaient massivement tirés en France et les rapaces jusqu’en 1976.
Les observateurs « européens » sur le site et les chasseurs ne sont pas rentrés en conflit. Il y a une dizaine d’année un tireur se mêlait parfois aux observateurs, tirait quelques oiseaux et repartait. Aujourd’hui la chasse subsiste malgré la protection légale des rapaces. Elle est illégale mais tolérée du fait d’une longue tradition. Les chasseurs ont désormais déserté le site de comptage qui était un excellent poste de tir.
Les ornithologues ont initié une stratégie de conservation non conflictuelle et communautaire avec un développement d’un secteur d’écotourisme reposant sur l’observation des rapaces. Cela fonctionne avec la venue d’ornithologues du monde entier sur les points d’observation. En huit jours Paul a croisé des géorgiens, des hollandais, des allemands, des chinois, des suisses, des iraniens, des croates, des azerbaïdjanais, des russes, des belges, des anglais, des américains, des turques, des français, des israéliens, des malais et des espagnols. Cependant, pas un seul africain chez qui ces oiseaux vont hiverner n’était cependant présent pendant son séjour. La stimulation économique de l’écotourisme a eu un impact profond sur la chasse illégale : les oiseaux vivants ont à présent plus de valeur que les oiseaux morts pour de nombreuses personnes locales. L’hébergement des visiteurs a développé un développement des maisons d’hôtes. Les autorités locales viennent en appui pour l’aménagement des sites de comptage et l’encadrement de la qualité de l’hébergement chez l’habitant.
Au cours de la dernière décennie, le projet de recensement des rapaces migrateurs de Batumi, mené par des bénévoles, est devenu une action de surveillance et de conservation des migrations reconnue à l’échelle internationale. Les comptages standardisés offrent un outil particulièrement précieux pour surveiller les populations de rapaces dans la voie de migration Est-africaine-paléartique peu étudiée jusqu’à présent. En faisant de Batumi une destination de choix pour l’observation des oiseaux, le projet Batumi raptor count (BRC) à l’initiative d’ornithologues hollandais, a eu un impact économique important et positif pour les communautés proches des sites ce qui a accru le soutien sociétal et politique en faveur de la chasse illégale des rapaces dans la région.